
Quand le rêve d’un rayonnement mondial du kompa vire au cauchemar juridique entre Fabrice Rouzier, Joé Dwèt Filé et Burna Boy
Le kompa, fierté musicale d’Haïti, avait enfin trouvé son moment de gloire internationale avec le titre « 4 Kampé », porté par l’artiste franco-haïtien Joé Dwèt Filé. Mais ce qui devait être une vitrine de l’héritage haïtien se transforme aujourd’hui en un conflit juridique d’envergure, opposant Fabrice Rouzier, figure emblématique du genre, à Joé Dwèt Filé et au chanteur nigérian Burna Boy.
De l’espoir à la désillusion
À l’automne 2024, Joé Dwèt Filé dévoile « 4 Kampé », un morceau aux sonorités kompa qui suscite un engouement fort dans la diaspora haïtienne. L’artiste semblait incarner un pont générationnel et culturel, capable de propulser le kompa sur la scène mondiale.
Parmi les premiers à saluer ce succès : Fabrice Rouzier, pianiste, producteur et défenseur infatigable de la musique haïtienne. Pour lui, ce titre représentait une passerelle entre tradition et modernité. Mais rapidement, l’enthousiasme fait place à la colère : Rouzier estime que la chanson s’inspire sans autorisation de « Je Vais », un titre qu’il a revisité en 2002 dans le cadre du projet « Haïti Troubadour ».
Selon Rouzier, « 4 Kampé » reprend la structure musicale, l’ambiance générale, et même certains passages emblématiques de son œuvre. Une première lettre adressée à l’équipe de Joé Dwèt Filé reste sans réponse. L’artiste espérait un échange constructif, voire une collaboration. Le silence assourdissant qui lui est opposé renforce son amertume.
Un second affront : l’arrivée de Burna Boy
La tension monte d’un cran en mars 2025 avec la sortie du remix « 4 Kampé II », cette fois avec Burna Boy, icône mondiale de l’Afrobeats. Pour Rouzier, cette nouvelle version marque une exploitation répétée de son travail sans reconnaissance ni autorisation.
Face à cette situation, il décide de porter l’affaire devant la justice. Une plainte est déposée auprès de la Cour fédérale du district Est de New York, visant Joé Gilles (alias Joé Dwèt Filé), Damini Ogulu (Burna Boy) et Daniel Fils Aimé, plus connu sous le nom de Tonton Bicha.
Une œuvre enracinée dans la culture haïtienne
La chanson « Je Vais » est elle-même une reprise modernisée d’un morceau traditionnel popularisé par Les Frères Dodo. Dans son adaptation de 2002, Rouzier y ajoute un interlude inspiré du style du chanteur Coupé Cloué, intégrant une saynète humoristique célèbre du comédien Ti Bato, intitulée « 4 Kampé », brillamment interprétée par Tonton Bicha à l’époque.
C’est aussi ce dernier qui est visé dans la plainte. Présent récemment sur scène aux côtés de Joé Dwèt Filé à New York, Tonton Bicha aurait admis percevoir des redevances pour sa participation actuelle, ce qui soulève des interrogations sur la clarté de ses droits initiaux dans la version de 2002.
Un symbole de fracture au sein de la culture
Pour beaucoup, ce conflit représente une énorme occasion manquée : celle de fédérer la culture haïtienne autour d’un projet global, au moment où les sonorités afro-caribéennes séduisent un public mondial.
« Ce devait être un tremplin pour notre musique, notre héritage, notre fierté », regrettent plusieurs mélomanes de la diaspora.
Si certains espèrent encore un compromis à l’amiable, d’autres redoutent que la procédure judiciaire ne vienne entériner une fracture irréversible.
Un débat mondial sur la propriété culturelle
L’affaire s’inscrit dans un contexte plus large : récemment, l’artiste nigérian Davido a lui aussi fait l’objet d’une plainte pour plagiat. Ces cas se multiplient et soulèvent une problématique pressante : comment protéger les musiques traditionnelles dans un monde où les frontières artistiques sont de plus en plus floues ?
Kompa vs. industrie : entre respect et rayonnement
Au cœur de l’affaire, ce n’est pas seulement une chanson qui est en jeu, mais l’essence même de l’identité musicale haïtienne. Fabrice Rouzier affirme vouloir défendre la valeur de son travail et le respect des droits d’auteur. Mais nombreux sont ceux qui rêvent encore de voir la musique haïtienne s’exporter non pas par les tribunaux, mais par des collaborations audacieuses et respectueuses.
Car le rêve est toujours vivant : voir le kompa conquérir le monde, sans jamais renier ses racines.